Témoignage d'Alice (suite)
Je suis arrivée à Tsiroanomandidy le jour de la fête nationale, pour y faire un stage à la fin de mes études de médecine, en collaborant avec "Enfants de Tsiro" et avec d'autres partenaires médicaux de la ville. Je voulais comprendre ce que c'était que de travailler comme médecin dans un pays du Tiers-Monde, apprendre à travailler dans des conditions différentes de celles que j'avais connues en France. J'y partais avec simplement en tête ce qu'on m'avait dit de Madagascar: des gens chaleureux et accueillants, sur une terre splendide. Et je n'ai pas été déçue!
J'ai commencé par découvrir la Petite Ecole, ses institutrices courageuses et ses enfants débordants d'énergie.
Au bout d'une semaine, je suis partie, sur les conseils de l'évêque, travailler dans un dispensaire de brousse, tenu par des religieuses infirmières, (70 km de Tsiroanomandidy, c'est à dire 3h30 de route...). Là-bas il a fallu apprendre immédiatement à travailler avec très peu de moyens, beaucoup moins de médicaments qu'en France et aucun examen complémentaire, seulement mes yeux, mes oreilles, mes mains et mon bon sens pour m'aider. Les gens venaient pour vraiment toutes sortes de choses, de la simple bronchite à la crise de paludisme grave ou à la méningite, en passant le retrait de balle, l'ulcère gastrique, le mal de dos, les cacahuètes coincées dans le nez... Il fallait être prêt à tout, et trouver des solutions quand les traitements étaient trop chers pour les patients. Ce village, sans eau courante ni électricité, me paraissait déjà loin de tout; pourtant des gens faisaient parfois plusieurs jours de marche, pieds nus et leurs enfants sur le dos, pour venir au dispensaire. Dans certains villages très isolés, on trouvait encore de multiples cas de lèpre. Les traitements existent et sont même gratuits pour eux, mais comment venir les chercher quand on habite si loin, et qu'on a les pieds si abîmés par la maladie?
Avant de partir, à la demande des soeurs, j'ai rédigé des recommandations médicales permettant de diagnostiquer et de traiter une grande partie des maladies que j'avais observées là-bas. Je ne pouvais pas rester là indéfiniment, mais j'espère que ce document pourra bien les aider.
De retour à Tsiro, j'ai passé quelques semaines de stage à l'hôpital public de la ville. Les conditions de prise en charge des malades étaient difficiles: peu de traitements disponibles et beaucoup en rupture de stock, des examens assez limités, disponibles seulement quand il y avait de l'électricité, des décisions médicales qui laissaient parfois vraiment à désirer. Et puis impossible de s'y faire soigner quand on n'a pas d'argent puisque tout est payant, jusqu'aux gants de l'infirmière et au morceau de coton pour désinfecter; ni quand on n'a pas de famille ou d'amis, pour aller acheter les médicaments, faire la toilette et apporter draps et nourriture. Les autres sont renvoyés chez eux, sans scrupule. En chirurgie, il fallait parfois travailler à la lampe frontale, quand l'électricité tardait trop à revenir. Malgré tout, j'ai pu y rencontrer des médecins soucieux d'améliorer leurs pratiques, et qui m'ont appris beaucoup de choses sur les pathologies tropicales que je connaissais peu, pendant que je leur enseignais ce qui pouvait les intéresser.
Certains jours, j'ai pu accompagner le Dr Bruno, un médecin français installé à Madagascar, qui consulte dans différents villages autour de Tsiro, à très faible coût pour les patients, avec beaucoup de générosité, de patience et de douceur, et selon des pratiques médicales vraiment meilleures que ce que j'avais vu ailleurs. C'était très formateur pour moi d'observer quelles solutions un médecin ayant reçu la même formation que moi trouvait face aux situations locales: pathologies tropicales, manque de moyens, pauvreté des populations...
J'ai également rencontré Mme Madeleine, une infirmière d'origine belge, également installée à Madagascar, qui tient des consultations de dénutrition infantile, et a fondé une école pour enfants handicapés moteurs et/ou mentaux. Avec beaucoup de courage et de volonté, elle reçoit toutes sortes de gens pour toutes sortes de problèmes, médicaux ou sociaux, et essaie toujours de trouver des solutions.
Et bien sûr, j'ai eu la joie de passer du temps à la Petite Ecole des Enfants de Tsiro! Comment résister à ces petites bouilles toutes barbouillées, mais tellement joyeuses et pleines d'énergie?
Pourtant leurs histoires sont rarement drôles: quatre d'entres eux ont été récemment abandonnés par leur mère, tout juste remariée, qui les a laissés à une secte; une autre a due être sevrée d'alcool à la naissance, tant sa mère buvait, et elle est encore très dénutrie; certains soirs, on entend un autre crier, quand sa mère le frappe; l'un a perdu récemment son petit frère, emporté par on ne sait quelle maladie; certaines parmi les plus grandes risquent de tomber dans la prostitution.
La plupart d'entre eux sont issus de familles très nombreuses (7 enfants en moyenne), et beaucoup de mères élèvent seules leurs enfants. Il est très difficile pour une de ces mères, de gagner chaque jour assez d'argent pour donner du riz à tous ses enfants. Alors pour les légumes, la viande, les fruits...
Heureusement, les enfants de l'école (une centaine d'enfants scolarisés) reçoivent chaque jour un gros repas à midi. On leur fait aussi se laver le visage, les mains et les dents tous les jours, et des douches sont en construction. C'est toujours un moment joyeux, certains deviennent très forts pour faire des bulles de savon!
La plupart d'entre eux sont scolarisés dans des écoles publiques de la ville (dont les frais d'inscription sont payés par l'association), une demi-journée par jour. Ils passent le reste du temps à la Petite Ecole en guise de soutien scolaire. Et pendant les vacances, un centre aéré y est organisé pour que les enfants ne restent pas livrés à eux-mêmes trop longtemps.
Le travail n'est pas toujours facile pour les institutrices, mais elles continuent avec patience et courage de faire progresser ces enfants, pour les sortir de la misère que leurs parents ont toujours connue.
Que de souvenirs en tête après ces presque deux mois passés là-bas! Je souhaite vraiment que l'association des Enfants de Tsiro, qui fait un très bon travail, continue de grandir et d'aider ces enfants à grandir eux aussi, paisiblement et dans la joie.
Merci beaucoup!
Alice